Décidément, comme ne cessent de nous le clamer les tenants de la Modernité Décomplexée et Heureuse (MDH®), la France est en retard. C’est ce que je me disais fin 2006 en regardant ce numéro d’Envoyé spécial où l’on montrait comment certaines cliniques espagnoles pratiquaient l’avortement jusqu’à 8 mois de grossesse. Espagnols eux-mêmes sacrément en retard sur les Anglais, qui sans doute vexés de se voir coiffés au poteau de la MDH® par les Ibères, ripostaient un mois plus tard via le Collège Royal des obstétriciens et gynécologues britanniques, qui suggérait carrément l’avortement post-partum, avec cette logique imparable : « Pourquoi pensez-vous qu'on pourrait donner la mort à un bout du "conduit de la naissance" et non à l'autre ? » Ce foie jaune de législateur n’a pas eu les cojones de suivre cet avis éclairé. L’Anglais s’est donc rabattu, tout triste, sur le droit du travail qu’il a achevé de dépecer pour avoir une chance de rester dans la course.
C’était sans compter sur les Pays-Bas. Le Batave, on nous le crie à l’envi, est la quintessence sur pattes de la MDH®. Pensez, il est trop cool le Batave : il se déplace à vélo, fume de l’herbe qui fait rire en faisant des bisous aux gendarmes et met ses prostituées en vitrine, parce qu’au moins, là, on voit la marchandise vachement mieux que sous un réverbère pourri.
C’est donc au pays de la tulipe et du moulin qu’on a écrabouillé les velléités de course en tête des Espagnols et des Anglais, et ce dès 2004. Il s’agissait de proposer l’euthanasie, non pas pour les vieux ni les débiles, ce qui serait limite conservateur, mais pour les enfants. On vota donc, en Batavie, que l’enfant de moins de 12 ans trop malade ou handicapé pour rester digne (retenez bien ce mot, il est l’excuse de toutes les saloperies) pourrait être euthanasié s’il le souhaitait et que ses parents étaient d’accord MAIS aussi, et là on confine à l’indépassable, si l’enfant n’était pas d’accord. Ou si on ne sait pas trop vu qu’il ne peut pas parler. Prenez ça dans vos faces, ringard Anglais, has been Espagnol.
Las ! Voilà que le Suisse, bien que légendairement lent et peu prompt à tenter quelque compétition européenne que ce soit – il a quand même laissé passer 4 éditions de l’Eurovision, c’est dire – s’est réveillé et a contemplé, du haut de ses cimes enneigées, l’état de l’avancée de la MDH® en Europe. Constatant avec un certain dépit qu’il lui serait difficile de faire plus que le Hollandais, qui peut désormais euthanasier de moins neuf mois à l’infini, il décida de faire dans le gore. C’est ainsi que sur les riantes rives du lac de Zurich, l’on vit prospérer l’association Dignitas (vous noterez que décidément le concept de dignité est très en vogue chez le tenant de la MDH®) qui, plutôt que de s’embêter à demander à des médecins de prescrire des barbituriques aux candidats au suicide (un médecin, c’est parfois un empêcheur de mourir en rond), sortit de sa boîte à idées le kit de suicide, comprenant du gaz (hélium) et un sac. Ensuite on allait dans des bagnoles planquées dans les bois filmer les candidats au suicide qui se mettaient la tête dans le sac et agonisaient durant de longues minutes. Les films étaient ensuite envoyés à la justice, afin que celle-ci constate qu’il n’y avait pas meurtre mais suicide.
Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais il s’est trouvé des gens pour s’émouvoir et même s’indigner de cette situation. Surtout quand on se rendit compte que Dignitas (je ne sais pas vous, mais je ne parviens pas à me lasser de ce nom) facturait l’hélium + le sac + l’accompagnement au fond des bois 300 francs suisses (soit 190 euros), les plus riches pouvant se payer le fameux pentobarbital beaucoup plus rapide et confortable au prix de 40 000 francs suisses (25000 euros). Et que les corps incinérés non réclamés étaient balancés dans le lac de Zurich (jolie photo ci-contre de quelques-unes des urnes retrouvées par des esprits chagrins).
Vous conviendrez qu’avec de tels champions, le petit débat ridicule de la France sur les cellules souches embryonnaires fait rigoler la MDH® tout entière. On avait pourtant cru qu’on pourrait être champions, et ce dès 1989, avec l’arrêt Perruche, qui reconnaissait enfin – mais comment avait-on pu vivre en harmonie avant – un préjudice d’être né. Las ! Comme pour les Britanniques et leur avortement post-partum, ce foie jaune de législateur, tout ça tout ça etc.
Heureusement que nous avons les Belges, qui sont comme chacun sait des Français qui mangent des frites en buvant de la bière. Un tribunal belge vient de rendre un verdict qui sauve l’honneur de la MDH® francophone. La cour d'appel de Bruxelles a en effet condamné un hôpital à indemniser des parents au nom de leur fille dont le handicap n'avait pas été détecté lors du diagnostic prénatal. Ils ont estimé que la fillette, née trisomique et lourdement handicapée, avait subi un préjudice indemnisable à hauteur de 30 euros par jour de vie.
Triste mais banal ? Pas tant que ça. Les juges ont en effet estimé que le préjudice, pour les parents (vu que la petite fille est morte en mars dernier à l’âge de 11 ans), était à la fois d’ordre moral… et esthétique.
Vous avez bien lu, esthétique.
Je vous laisse, je vais vomir.