Beaucoup de travail, en ce moment. Il y a eu la démission de Benoît XVI, l'élection de François, et la Matinale chrétienne de La Vie que vous pouvez suivre ici cinq jours par semaine et liker, afin de me rendre millionnaire (en roupies) ; puis ce livre pour enfants qui paraîtra à la rentrée et qui m'a demandé énormément de travail. Il y a cet autre livre que j'écris avec mon frère Pneumatis, qui en sort un également à commander d'urgence, et qui lance dans le même temps un nouveau blog à mettre dans ses favoris toutes affaires cessantes. Ceux qui l'ont fait peuvent continuer à lire ce billet.
Beaucoup de travail, donc. Et le besoin, dans la grande crispation que nous vivons aujourd'hui, de me taire et de prier. Ce que j'avais à dire sur la grande casse de la famille, je l'ai dit. Aujourd'hui, alors que nous sommes bien plus nombreux à refuser les changements sociétaux que le gouvernement pousse à coups de lacrymos que lorsque j'ai commencé à en parler, je me recentre sur l'essentiel. Juste envie de partager avec vous quelques non-événements de ces derniers jours.
J'ai demandé à quelques amies de me prêter leurs enfants le temps d'une après-midi, afin de tester sur eux le livre pour enfants que j'écris. Un livre sous forme de questions sur Dieu. Tous les profils chez mes petits cobayes : certains viennent de familles chrétiennes pratiquantes, d'autres sont vaguement acculturés, l'un d'eux a des parents musulmans, l'autre est issue d'une famille mi-protestante mi-franc-maçonne. Celui qui m'a le plus aidé est un petit prodige de dix ans, de parents agnostiques. A plusieurs reprises, dans les semaines qui viennent, sa mère fait allusion à cette séance sur un ton plutôt intrigué – je finis par comprendre qu'elle jetterait bien un œil à mon manuscrit. Je le lui envoie donc. Le soir, à la sortie de l'école, je lui demande si elle l'a reçu. Dans un éclat de rire un tout petit peu trop fort, elle me dit qu'elle s'est arrêtée à la troisième question parce qu'elle aurait eu trop de choses à dire.
La troisième question, sur le pourquoi du mal dans le monde.
On en reste là. Les jours passent, elle vient goûter à la maison avec ses enfants. On parle de choses et d'autres, et puis cette phrase qui me vient aux lèvres sans vraiment réfléchir - « Il faudra que tu me dises, un jour, pourquoi tu es si en colère contre Dieu ». Le même grand sourire défensif qui s'affiche et la réponse « Il s'appelait David, il avait six ans, il a été tué par une voiture, c'était mon cousin. Un enterrement terriblement triste, sans cérémonie religieuse. Depuis, c'est terminé ». Je me mords les lèvres, je pense au père Guy Gilbert qui, il y a des années de cela, avait répondu à ma question de savoir comment accompagner les familles en deuil : « Tu fermes ta gueule, tu t'assois et tu pleures avec eux ». Je dépose un baiser sur la joue de mon amie, et nous parlons d'autre chose. Quand nos proches nous quittent trop tôt, une chape de silence s'abat sur leur mémoire. Un ami cher qui a perdu récemment une nièce adorée me disait : « Le plus dur, c'est que très vite tout le monde passe à autre chose, ne veut plus en entendre parler. Mais ces morts sont là pour toujours. Il ne faut pas guérir, il faut les aimer plus encore ».
Hasard du calendrier, le lendemain je pars pour une retraite de deux jours dans un carmel de province. Long échange avec la mère supérieure sur cet épisode qui me hante, moi qui ai la chance de trouver rassurante l'impossibilité d'expliquer le mal quand d'autres le vivent comme un supplice de plus. A la fin de l'entretien, elle me dit qu'elle priera pour cette famille, en particulier pendant la messe.
Le lendemain matin, messe du dimanche de la Divine Miséricorde, toujours au carmel. A la communion, on nous fait mettre en cercle autour de l'autel. En face de moi, la mère supérieure ; à côté d'elle, voûtée, celle qui l'a précédée dans la charge, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Son beau visage regarde fixement le vide. Légèrement penchée contre elle, la mère supérieure lui tient la main, son pouce caressant les doigts ridés. Quand elle reçoit la communion, elle en casse un morceau, le porte aux lèvres de la vieille dame qui ne réagit pas et n'ouvre pas la bouche, ses grands yeux fixant toujours le mur derrière moi. La mère supérieure reprend le morceau d'hostie et l'avale, sans cesser de caresser la main de l'autre. Ce que je regarde là, c'est la force d'amour de l'une qui prie à l'intérieur de l'autre. A cause de cela, les deux priaient, c'est pour moi une évidence. J'ai soudain pensé que David était au cœur de cette prière, comme la mère supérieure me l'avait promis.
La tendresse infinie de Dieu: une amnésique et son amie qui la berçait faisaient mémoire en Lui du nom d'un enfant mort qu'aucune des deux n'avait connu.