Grosse fatigue, ces jours-ci. Quand on entre dans le débat sur le « mariage pour tous », on est plein de bonne volonté. On argumente, on explique pourquoi l'on pense que ce projet est mauvais pour tous, pourquoi on n'est pas favorable à une telle conception de la société. En réponse, on se prend des tombereaux d'injures. Bon. On a le cuir solide, on se dit : la vache, ils doivent souffrir sacrément ces gens, pour être aussi agressifs. On essaye donc de discuter, d'argumenter mieux, de réfléchir avec l'autre. Parfois, ça marche : plusieurs commentateurs arrivés sur ce blog prêts à en découdre se sont radoucis au fil de la discussion. J'ai pris un pot avec certains. On n'est toujours pas d'accord, mais on se respecte – et du coup la discussion s'est arrêtée. C'est normal : certains, qui soutenaient ce projet avec une vraie intention louable de sécuriser juridiquement les couples de même sexe et les enfants élevés dans ce cadre, se sont simplement rendu compte que ce projet risquait de précariser tous les couples. D'autres assument le fait qu'ils ont une vision de l'humanité qui n'est pas la mienne, ni eux ni moi n'y renoncerons, donc soit nous restons en contact en évitant le débat, soit nous reprenons chacun notre chemin.
Là où je fatigue, c'est sur le concept de souffrance. L'idée que, parce que les personnes homos ont souffert, ou souffrent toujours, cela justifierait toute proposition de loi, toute réforme, même la plus absurde. Certes, il y a des personnes parmi les militants qui souffrent. C'est indéniable. Mais, mes petits cocos, je vais vous dire un grand secret : tout le monde souffre. Tout le monde. C'est même un truc qui s'appelle la condition humaine. Je défie n'importe lequel des lecteurs de mon blog, les pour, les contre et les ni l'un ni l'autre, tiens : on fait un concours. La souffrance n'est pas exclusive des personnes homos. Et surtout, elle n'excuse pas tout. Et certainement pas la violence, la méchanceté et le dénigrement.
Car depuis quelques temps, la pauvreté des arguments des pro-mariage pour tous est désormais visible. Le roi est nu. Les arguments juridiques, pour protéger de pauvres familles à la merci des accidents de la vie ? Faux, comme l'a brillamment démontré Koztoujours. Reste donc l'insulte.
Le grand argument, ces jours-ci, c'est de dire que les enfants martyrisés sont l'apanage des couples homme-femme. Beaucoup des arguments des militants pro-mariage gay tournent autour de la décrédibilisation de la famille homme-femme-enfants. Il y a plusieurs degrés dans cette assertion. Pour prouver que les parents de même sexe sont vachement mieux que les autres, on a d'abord eu recours à cet argument imparable : deux personnes de même sexe qui s'aiment valent mieux qu'un couple homme-femme qui se déteste / violent / alcoolique (rayez, ou pas, la mention inutile). Re-scoop : des bonnes carottes valent mieux que de mauvaises patates. Voilà qui éclaire le débat d'un jour nouveau. On sent l'argument de haut vol. Même que je suis d'accord avec, c'est dire. Et puis allez savoir comment, l'affaire Courjault s'est retrouvée au milieu du « débat ».
Ah ! Cette affaire Courjault, chers militants LGBT, comme elle vous plaît. Comme vous vous délectez de cette « preuve » que l'infanticide est hétérosexuel. C'est même devenu un poncif. « C'est vrai qu'il vaut mieux avoir M. et Mme Courjault comme parents que deux homos ». Et là. Et là. Même Christophe Barbier, directeur de l'Express, y va de sa petite allusion taquine pour expliquer pourquoi il soutient la réforme du mariage « pour tous ». Mieux : maintenant on pousse la comparaison jusqu'au bout : « y'a pas que les enfants d'hétéros qu'on peut mettre au congélo ». Partagé près de 200 fois sur Facebook. Huhuhu. Humouuuuuuuur, on te dit. T'façons vous les cathos, zêtes coincés question blagues, pffffff.
Sauf que.
Sauf qu'il se trouve qu'au hasard d'une rencontre sur Facebook, je suis devenue amie avec un membre de la famille Courjault. Une femme qui a dû annoncer aux enfants de Véronique Courjault que leur maman était en prison et pourquoi. Une femme qui a vu la vie de tous les membres de sa famille brisée par ce drame. Une femme qui a elle-même des enfants, qui ne sont pour rien dans cette affaire, et qui se verront toute leur vie à la merci de blagues idiotes qui feront rire deux minutes ceux qui les profèrent et blesseront durablement ceux qui les reçoivent en plein cœur. Vous voulez prouver que vous aimez les enfants ? Commencez donc par respecter ceux-là.
D'autant que « l'argument », il peut se retourner facilement. Parce que forcément, un « argument » pareil, qui dit que les couples homos sont exempts de maltraitance, on cherche s'il est vrai. Parce qu'il existe des études flippantes. Parce que n'importe qui peut, en cherchant deux minutes sur internet, trouver des faits divers d'un sordide absolu concernant des enfants élevés par des couples de même sexe : ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici ou là, liste non exhaustive.Voilà, j'ai répondu à votre argument. Qu'est-ce qu'on a bien avancé, dites donc.
Si vous voulez absolument que la bataille se déroule dans le caniveau, soyez prêts à assumer le fait que votre "humour" et votre refus du dialogue soient parfaitement contre-productifs. Il est assez drôle à ce propos de lire, sur les réseaux sociaux, la façon dont vous répondez à des gens qui sont a priori plutôt d'accord avec vous qu'avec moi. Les malheureux se risquent-ils à oser dire que même si à titre personnel ils vous soutiennent, ils connaissent des gens qui sont contre cette loi et qui ne sont pas pour autant homophobes, que ça ne rate jamais: ils se font traiter d'homophobes. Remplacez "homophobe" par "raciste", et contemplez le résultat de vingt ans de matraquage sur le thème "si tu votes FN t'es raciste". C'est sûr, le FN a complètement disparu aujourd'hui.
Si vous êtes prêts à discuter honnêtement, sur des arguments juridiques, contre-argumentez donc le billet de Koz ou le mien.
Vous voulez "l'égalité", ou plutôt l'idée que vous vous en faites? Montrez que vous êtes des citoyens comme les autres. Faites, finalement, comme tout le monde : gardez vos souffrances pour vous, et argumentez.
Chiche.