Ultra-Homo vit à Lyon, France, en 2010. Une France qu’il aime et qu’il a bien du mal à reconnaître. Une France qui se sclérose, qui a peur de tout et de tous, où le nombre de jeunes homosexuels qui veulent mourir est de plus en plus grand. A qui la faute ? A l’homophobie, bien sûr. Certes, de grands pas ont été accomplis ; la pénalisation de l’homophobie fait que les casseurs de pédé se font plus discrets. Mais il existe des bastions de haine anti-gay. Les religions, par exemple. Surtout la catholique. La laïcité, ok, pourquoi pas, mais on voit bien ce que ça donne avec les cathos. Ils lui refusent les sacrements à cause de ce qu’il est, un homosexuel. C’est intolérable. Alors bien sûr, il va dire aux journalistes que s’il a choisi le parvis de la primatiale Saint-Jean pour le kiss-in, c’est parce que c’est un lieu public. Mais avec ses amis, il se marre : ça leur fera les pieds aux cathos ! On verra s’ils restent stoïques, haïssant le péché, aimant le pécheur, comme ils disent… Oui, ce soir il y sera au kiss-in. Bravant les fous de Dieu, pour un monde meilleur.
Ultra-Catho vit à Lyon, en France, en 2010. Une France qu’il aime et qu’il a bien du mal à reconnaître. Une France qui a oublié ses racines chrétiennes, qui a peur de tout et de tous, où le nombre d’actes antichrétiens ne cesse d’augmenter. A qui la faute ? A la perte des valeurs, bien sûr. Certes, de grands pas ont été accomplis : de plus en plus de jeunes semblent rejeter le bazar idéologique soixante-huitard et réclamer le retour des vieilles valeurs françaises. Mais il existe des bastions de haine anti-chrétienne. Les homosexuels, par exemple, surtout les « homosexualistes ». La tolérance, ok, pourquoi pas, mais on voit bien ce que ça donne avec les homos. Ils veulent imposer l’abolition de la différence des sexes à la société. C’est intolérable. Alors, bien, sûr, il va dire aux journalistes que s’il a choisi de défendre le parvis de la Primatiale Saint-Jean, c’est parce que c’est un lieu chrétien. Mais avec ses amis il se marre : ça leur fera les pieds aux homos ! On verra s’ils restent stoïques, tolérance pour tous, comme ils disent… Oui, ce soir il y sera au « kiss-haine ». Bravant les folles dégénérées, pour un monde meilleur.
Pensaient-ils vraiment, les catholiques ultras, que le fait de brandir un crucifix devant un militant gay le convertirait illico ? Croyaient-ils réellement, les gays ultras, que venir s’embrasser devant une église fera tomber les écailles des yeux du Pape qui s’empressera de célébrer un mariage homo à Saint-Pierre-de-Rome ?
Le concept d’idiot utile (qu’on appelle également la jonction des extrêmes) est toujours fascinant. Nul doute que le 18 mai dernier, c’est avec la même allégresse, la même odeur de poudre dans les narines, que Ultra-Homo et Ultra-Catho sont partis z’en guerre. Chacun d’eux persuadé de défendre les Vraies Valeurs, de pourfendre les Vrais Dangers, ceux-qui-sont-à-nos-portes-et-que-nous-sommes-seuls-à voir. Paladins de Tolérance® d’un côté, Chevaliers de Chrétienté® de l’autre. En s’embrassant à pleine bouche devant la cathédrale Saint-Jean, qui en a vu bien d’autres, nul doute que les premiers ne se soient crus à Stonewall, et les seconds, récitant virilement le chapelet, au baptême de Clovis. Nul doute non plus qu’à l’issue de ce désolant face-à-face chacun, quel que soit son camp, est rentré chez lui la conscience nette et le sentiment du devoir accompli en bandoulière, en se disant : « Quand on voit ce qu’on voit, et qu’on entend ce qu’on entend, décidément, on a bien raison de penser ce qu’on pense ».
La main sur le cœur, Ultra-Homo le jure : il voulait simplement pouvoir embrasser tranquillement en public. Est-ce sa faute s’il y a justement une cathédrale là où il a innocemment demandé la permission à la Préfecture ? On aurait pu le croire si ç’avait été le cas d’un seul kiss-in. Et puis l’on compte. Un kiss-in à Paris, devant Notre-Dame. Un kiss-in à Lyon, devant Saint-Jean. Et un kiss-in à Metz, devant la cathédrale Saint-Etienne, ce samedi. Arrêtons de jouer les bécasses : c’est bien l’Eglise catholique qui est visée. Le mouvement LGBT (qui ne représente pas, loin s’en faut, la totalité des homosexuels) flatte ici sa base de gauche anticléricale, au grand dam de certains dont Stéphane Dassé, l’ancien président de Gaylib : « il est impératif de nouer un dialogue avec les responsables religieux. Je reste convaincu qu’il existe des bonnes volontés partout et que la volonté de mieux vivre ensemble fini par l’emporter dès lors que l’on commence à se connaître et à se respecter, même si beaucoup de chemin reste à parcourir […] Je conçois parfaitement qu’il puisse être jouissif d’organiser un kiss-in devant une cathédrale, mais est-ce bien malin et responsable ? On voudrait détourner des Lgbt les catholiques susceptibles de nous aider que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Cela n’excuse évidemment pas les violences des extrémistes catholiques aveuglés par leur endoctrinement que je condamne très fermement. »
Côté Ultra-Catho, on récuse bien évidemment toute agressivité. « On ne fait que se défendre, c’est eux qui ont commencé », etc. Mais sur les vidéos des différentes confrontations, on voit bien la jubilation, l’Ave Maria hurlé à la gueule de l’adversaire, et ce délicieux « Sieg Heil » final dont on proteste côté catho-ultra que c’est le fait d’une minorité non-catholique « qui avait toute sa place dans le rassemblement ».
Je déteste profondément cette affaire de kiss-in. Parce que les méthodes employées d’un côté comme de l’autre puent. Parce qu’il s’agit d’occuper le terrain médiatique, de créer de toutes pièces un affrontement entre deux communautés qui auraient bien besoin de se parler davantage. Il s’agit de vouloir récupérer, d’un côté comme de l’autre, des cardinaux dont par ailleurs on ne se prive pas de dire du mal : Mgr Barbarin à ce titre est exemplaire, qui se voit cloué au pilori par les ultras pour être allé dîner avec des francs-maçons, les mêmes déformant le sens de ses propos et faisant de son interview au Progrès une incitation à contre-manifester devant Saint-Jean. Et en face, pareil : on somme le cardinal de prendre position [1]immédiatement en désavouant, je cite, « l’absence de condamnation par le Vatican des violences commises contre les personnes homosexuelles et transsexuelles au nom de la religion catholique » (au passage, j’aimerais assez que l’on me cite une ou deux de ces violences « au nom de la religion catholique », mais passons). Le but ultime ? Forcer Mgr Barbarin à faire de la politique, un peu comme quand on essayait de forcer Jésus à se positionner (et lui répondait en dessinant sur le sol)[2]. Et faire en sorte que nul ne puisse à l’avenir se dire homosexuel sans que l’étiquette du mouvement LGBT ne lui colle à la peau, ni catholique sans que l’on y ajoute immédiatement « facho ». En cela, j’ai beaucoup aimé la prise de position courageuse des frères Pouzin, du groupe Glorious, ainsi que celle de Jean-Baptiste Maillard, qui tentent de rappeler quelques évidences. Je rêve que d’autres voix s’élèvent en disant : « Assez de ce cirque ! »
Mais il en faudra plus pour que le cycle commencé s’arrête. On peut s’attendre à un kiss-in tous les samedis devant chaque cathédrale de France. Ce samedi, c’est Metz. Et tous les diocèses seront touchés. Et l’on verra partout les mêmes agités ravis de trouver en face d’eux le nécessaire ennemi qui valide leur engagement. Et l’amalgame continuera. Les violences aussi. Avec peut-être – et déjà je sens frissonner de plaisir les deux extrêmes – un ou deux « martyrs ».
Dans une histoire pas si éloignée sur le fond, qui s’est passée dans les eaux territoriales israéliennes, le Pape a déclaré : « La violence génère un surplus de violence ». Ce serait bien que ceux qui brandissent si haut l’étendard du Vatican devant les militants LGBT fassent un peu plus de cas des paroles prononcées depuis le trône de Pierre.
[1] L’an dernier, alors que les mêmes manifestants pro-LGBT manifestaient devant Saint-Jean, le cardinal avait créé la surprise en invitant ces derniers à discuter. Il faut croire que cela n’a pas plu aux plus extrêmes d’entre eux ; alors qu’un dialogue avait été amorcé, pourquoi tout casser, si ce n’est justement parce qu’un adversaire avec lequel on ne discute pas – un cliché, en somme – est bien plus profitable en termes d’image médiatique qu’un partenaire avec lequel on avance ensemble ?
[2] Selon des sources autorisées, le cardinal Barbarin, à qui l’on rapportait les slogans chantés durant le kiss-in, a validé non sans humour l’un d’eux, hurlé par les pro-LGBT : « Deux planches, trois clous, Il l’a fait, pourquoi pas vous ? » « Celui-ci », a dit le cardinal, « je le valide, c’est le fondement de la foi chrétienne. »