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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 15:00
Mother and sisters of Shazia 2C’est un cadavre d’enfant comme les journaux nous en donnent à voir des dizaines autour du monde. Le cadavre d’une fillette de 12 ans, corps d’enfant bien plus que d’adolescente, vêtu d’un pantalon de survêtement relevé aux genoux, et d’un pull dont on a remonté les manches et le devant pour exposer le maximum de peau à l’objectif des photographes.


Sur cette peau, des taches sombres de toutes tailles. Selon son beau-père Bashir Masih, ces taches correspondent à « de profondes coupures et une brûlure au fer à repasser  dans le dos ». Son visage gonflé est entouré d’un bandage sommaire qui maintient sa mâchoire brisée. Les plaies sur ses doigts indiquent que ses ongles ont été arrachés. Son bras droit est cassé.


Shaziah (« bonheur » en ourdou) Shaheen, avait, selon les sources, entre 12 et 14 ans. Un détail qui a son importance, car au Pakistan, le travail des enfants est autorisé à partir de 14 ans (15 ans pour les mines et les chemins de fer). Elle était la troisième fille d’une famille catholique de quatre enfants, dans le district de Tehsil Shahkot, non loin de Lahore. Ce sont ses deux sœurs aînées que vous voyez sur la photo, lors des funérailles, entourant sa mère et son beau-père (son père est mort quand elle était toute petite). On aperçoit, à l’avant de la photo, son petit frère de 8 ans.


Comme l’immense majorité des chrétiens pakistanais (1,6% de la population du pays), la famille de Shaziah était très pauvre. Si pauvre, que lorsqu’un certain Amanat se présente à eux et leur fait miroiter son carnet d’adresses, ilsMohammad-Naeem-Chaudhry.jpg décident de lui faire confiance pour trouver à Shaziah un travail décent à Lahore. Leurs espérances se trouvent confortées lorsqu’ils apprennent que Shaziah est embauchée chez un riche avocat, Mohammad Naheem Chaudhry, ancien bâtonnier du barreau de Lahore (photo ci-contre).


Voilà Shaziah domestique, pour un salaire mensuel de 1000 roupies, c’est-à-dire 8 euros, ce qui n'est pas scandaleux au Pakistan. Logée et nourrie, elle reverse son salaire à ses parents. Cela dure huit mois. Puis tout à coup, plus de nouvelles.


La famille, inquiète, se rend sur place s’enquérir de la fillette. Les Chaudhry refusent de les laisser entrer chez eux. Cela dure. Devant l’insistance des parents, ils finissent par les laisser entrer. Shaziah est déjà mourante. Ses parents affolés l’emmènent au Jinnah Hospital aussi vite qu’ils le peuvent. Elle décèdera en route. Nous sommes le 22 janvier 2010.


Devant le chagrin et la colère de la famille, Mohammad Naheem Chaudhry leur offre de l’argent. 20 000 roupies – environ 160 euros – pour leur silence. Les Shaheen refusent. Ils décident de porter plainte.

C’est là que l’affaire se complique.




La police commence par refuser d’enregistrer la plainte
  avant d’y être contrainte par la communauté chrétienne en colère, qui manifeste devant le Parlement du Penjab. Devant la révolte des chrétiens, le président pakistanais ordonne une enquête et débloque 500 000 roupies à titre compensatoire pour la famille Shaheen. Le 24 janvier, Mohammad Naheem Chaudhry, son épouse et son fils, sont arrêtés. La police arrête également Amanat, le trafiquant d’enfants, et découvrent chez lui trois autres esclaves mineurs en cours de revente.


Le 25, les funérailles de la petite fille sont célébrées à la cathédrale du Sacré-Cœur de Lahore, en présence deIMG_5069.JPG plusieurs évêques catholiques et anglicans. Des milliers de fidèles assistent à la cérémonie, encerclés par les forces de l’ordre qui redoutent une explosion populaire.  


Mais l’intérêt
des politiques et des médias retombe rapidement. Très vite, les associations de défense des droits de l’homme qui tentent de trouver un avocat à la famille de Shaziah se voient opposer refus sur refus. Chrétiens ou musulmans, les avocats contactés sont menacés. Personne ne veut de l’affaire.,


C’est dans ces conditions que le PCC, Pakistan Christian Congress, décide de demander à Mgr Timotheus Nasir, un évêque anglican, de conduire la défense de la famille Shaheen.

 


Mgr Timotheus Nasir (voir interview exclusive en fin d'article) est un prélat habitué des cours de justice. Il est le président de l’UPCP (United Presbyterian Church of Pakistan), une église presbytérienne de quelques 100 000 âmes issue d’un schisme d’avec la Communion anglicane. Cet ancien militaire, qui a servi 16 ans dans l’armée pakistanaise en tant qu’officier dans un corps d’élite, évêque du Pakistan d’une union d’Eglises presbytériennes, la Siloam Biblical Christian Churches of Pakistan, dirige le Faith Theological Seminary à Gujranwala. Spécialiste de l’Ancien Testament, de l’histoire de l’Eglise et d’islamologie, intellectuel cultivé, auteur de plus de deux mille articles en anglais et en ourdou, ainsi que d’un New Testament Commentary for Common Reader, c'est aussi un homme dont on ne compte plus les coups d’éclat. En 2000, il est ainsi monté au créneau lorsque Mgr Samuel Azariahs, président de l'Eglise Protestante du Pakistan, a ordonné deux femmes diacres. Il a aussitôt intenté une action en justice devant le tribunal de Lahore, s'appuyant sur le fait que l'ordination des femmes n'est pas autorisée par la Bible, qui, en particulier, contient une injonction de l'apôtre Paul confirmée par l'apôtre Pierre, selon laquelle "les femmes n'ont pas la permission de parler Bishop-20Nasir_resize.jpgdevant les assemblées". Le but de Mgr Nasir : faire condamner  Mgr Azariahs pour infraction à la loi nationale pakistanaise et à la loi biblique. La réponse a été cinglante : le tribunal de Lahore, après examen de l'affaire, a émis un avis d'outrage à la cour.

  -

En 2004, le meurtre d’un chrétien, Samuel Masih[1], par un policier lors de son arrestation pour blasphème (il était accusé d’avoir jeté des ordures sur une dalle où étaient inscrits des versets du Coran) avait provoqué une grande émotion dans la communauté chrétienne pakistanaise. Mgr Nasir avait alors déploré que « le fondamentalisme [ait] altéré l'image du pays en faisant mauvais usage de la loi contre le blasphème. La situation serait meilleure si les mêmes peines étaient appliquées à ceux qui font preuve de manque de respect à l'égard du Christ et des saints chrétiens ».

 Grand amateur de joutes oratoires, il ne rate pas une occasion de se confronter avec des érudits musulmans. Le 7 octobre 1987, à Sialkot, son débat avec le cheikh  sud-africain Ahmad Dedaat, dont il sort triomphant, attise la haine des fondamentalistes. Il reçoit des menaces, ilse fait traiter de menteur et répond: "Si j'ai appris à mentir, c'est des musulmans que je l'ai appris". Cette phrase lui vaut une assignation en justice auprès de la Haute Cour de Karachi, pour "outrage à l'Islam". Mgr Nasir en appelle au Président de la République, au Premier ministre, au ministre des Affaires religieuses. En vain. Il dénonce une volonté de le tuer : « Chacun sait que Karachi est une ville extrêmement dangereuse, et qu’un évêque en soutane ferait une cible idéale pour des "terroristes inconnus". Si je dois mourir, qu’il en soit ainsi ! Je n’ai pas de haine contre les mollahs, ils font leur travail. Mais l’attitude du gouvernement et de la magistrature dans cette affaire prouve qu’ils soutiennent pleinement ces gens-là. »

Lors du procès, où il se présente sans avocat, il renonce solennellement à sa nationalité pakistanaise.

« Je reste un patriote pakistanais. Mais le Pakistan a été dévoyé par des gens qui n’ont eu aucun rôle dans la création de mon pays. Ce n’est plus le Pakistan que j’ai défendu, et auquel j’ai donné les meilleures années de ma vie. L’agressive "théocratie islamique" a fait du Pakistan un pays que  le Père de la Nation Muhammad Ali Jinnah n’a jamais voulu. […]Au Pakistan, les chrétiens, y compris moi, doivent faire face à une haine extrême, à des discriminations religieuses et à une intolérance à tous les niveaux de la société. Il m'est impossible de porter le fardeau de la citoyenneté limitée, estropiée et sans signification de votre Pakistan, [...] un pays dont jadis j'étais fier, [...] c'est pourquoi je me défais de la citoyenneté pakistanaise ».
Finalement, le président Pervez Musharraf intervient et l'affaire est classée.

En mars 2006, à Melbourne (Australie), lors d’une sortie de classe, trois étudiants du East Preston Islamic College sont pris en train d’uriner sur une Bible avant d’y mettre le feu. Mgr Nasir a alors demandé des excuses… du monde musulman tout entier : « Il faut se souvenir de l’émotion qui a gagné les musulmans du monde entier lorsque des profanations du Coran ont été  signalées à Guantanamo en mai 2005 et février 2006.  En revanche, lorsqu’il s’agit de la Sainte Bible, les musulmans considèrent que c’est leur droit d’insulter la foi chrétienne. […] Au Pakistan, les chrétiens, traités d’analphabètes et d’ignorants, sont battus, jetés en prison et condamnés, sur des allégations  de blasphème souvent faibles et sans fondement. […] La profanation de la Sainte Bible en Australie était d’une violence rare, mais aucun pays musulman, aucun leader islamique n’a eu un seul mot pour condamner ce crime haineux contre les chrétiens du monde entier. »

 


C’est cet homme controversé, courageux ou tête brûlée selon ses détracteurs, qui se retrouve à la tête de la défense des Shaheen.


Le 13 février dernier, le tribunal de Lahore
décide de remettre en liberté sous caution Mohammad Naeem Chaudhry, son épouse, son fils et Amanat, le trafiquant d’enfants. Les juges se sont basés sur un rapport d’autopsie rédigé par neuf médecins musulmans, dont les conclusions n’admettent qu’une fort neutre « infection de laPolice-men-are-torchering-the-protesters.jpg peau et un état de malnutrition » en lieu et place des traces de coups et de viol. Mgr Nasir dénonce aussitôt une libération « planifiée à l’avance » : « Tout au long de ces quinze derniers jours, je constate que la coopération, la collaboration et l’harmonie ont été totales entre les avocats, la police, la justice et le gouvernement […] Aucune infection ne peut causer une fracture de la mâchoire et des bras, pas plus que de profondes entailles ou des brûlures au fer à repasser ». L'émotion dans la communauté chrétienne est considérable.


Nous en sommes là. Justice sera-t-elle rendue pour Shaziah Shaheen ? Rien n’est moins sûr. D’autant que le 17 février dernier, un article du Pakistan Christian Post indique que Mgr Nasir a dû jeter l’éponge. Selon le prélat, il a été freiné par le CLAAS (Centre for Legal Aid, Assistance and Settlement, une association d'aide juridique aux chrétiens) dans ses efforts pour mener à bien la défense des Shaheen.  Une version confirmée par Agnes Massey, présidente du chapitre canadien du Pakistan Christian Congress, qui blâme la tiédeur des associations de défense des chrétiens. Il semblerait que certains chrétiens – et comment ne pas les comprendre – redoutent les retombées du procès, une fois les quelques caméras étrangères reparties. Il a été remplacé par un avocat de la Cour suprême, Akbar Durrani, qui avait initialement décliné l’invitation à représenter la famille mais qui aurait changé d’avis. Mais quels que soient les avocats, il n’est pas un seul chrétien, toutes confessions confondues, à croire un seul instant que la justice passera. Laissez-moi vous citer une dépêche d'Eglises d'Asie, datée du 17 février dernier:

"A l’archidiocèse catholique de Lahore, le vicaire général, le P. Andrew Nisari, est allé dans le même sens : « La justice est prise en otage au Pakistan. Il est navrant de voir que ceux-là même qui sont chargés d’assurer la défense des justiciables font bloc pour innocenter l’un des leurs. » Au Conseil national pour le dialogue interreligieux, son directeur, un prêtre capucin, avait organisé un colloque pour dénoncer cette affaire et ce qu’elle recouvre en matière d’exploitation du travail des enfants et de mépris des minorités religieuses. Pour cela, il avait invité un juge à venir témoigner. Mais celui-ci « s’est désisté au motif que Naeem Chaudhry était un camarade de promotion et qu’il ne pouvait pas s’exprimer publiquement à son propos ». « Pour nous, il est évident que justice ne sera pas rendue » dans cette affaire, a conclu le prêtre."

 
Il est probable que la seule chose qui perdurera de la petite Shaziah, ce soient ces quelques photos d’une famille éplorée et d’un petit corps martyrisé sur le blog des émigrés pakistanais en Grande-Bretagne.

 
Mgr Timotheus Nasir : "Priez pour nous"

Interview exclusive réalisée par mail le 28 février.

Mgr Nasir, comment le gouvernement a-t-il réagi à votre volonté de vous défaire de votre nationalité pakistanaise?

A ce jour, je n'ai reçu aucune réponse. Je reste donc un citoyen pakistanais jusqu'à ce que le gouvernement prenne une décision.

Vous avez reçu des menaces suite à votre décision d'aller défendre la famille Shaheen devant le tribunal en tant qu'avocat. Avez-vous peur?
J'en ai reçu, mais ça m'est égal. Je suis un ancien officier, j'ai donc déjà vu la mort de très près. Le jour de ma mort est déjà inscrit dans les cieux, et rien de ce que je pourrais faire n'y changera quelque chose. Je suis toujours menacé par les mollahs qui m'ont traîné en justice en 2006 à Karachi, et maintenant ce sont les assassins de Shazia ou ceux qui les protègent qui me menacent. Mais cela ne m'empêchera pas d'aller devant la Cour.

Pensez-vous qu'une mobilisation internationale pourrait permettre à la justice de passer dans l'affaire de Shazia Shaheen?
Non. Cela peut faire pression sur le gouvernement pakistanais, mais en aucun cas sur les musulmans. De plus, la "justice" est un confort dont nous ne disposons pas au Pakistan.

Que peuvent faire les chrétiens d'Occident pour leurs frères Pakistanais?
Priez pour nous. S'il vous plaît, je vous confie notre communauté et je vous demande de me soutenir par la prière, car je fais de nombreuses choses pour nos frères que je ne peux pas vous dire.


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Marc Fromager, directeur de l'Aide à l'Eglise en Détresse-France:
"La moitié des chrétiens de Karachi a déjà quitté le pays"



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[1] Masih n’est pas un nom de famille. C’est un surnom qui désigne un chrétien de sexe masculin ; c’est pour cela que le beau-père de Shaziah est présenté sous le nom de Bashir Mazih, et que le nom de la petite Shaziah est parfois présenté à la presse comme étant « Shaziah Masih » ou « Shaziah Bashir ».

 

Sources : United Presbyterian Church of Pakistan,  Asianews, Eglises d’Asie, Pakistan Christian Post, British Pakistani Christian Association d'où la plupart des photos sont extraites.

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commentaires

P
<br /> Il y a des avocats qui font honte à toute la profession, dans le monde entier. Enfin j'espère.<br /> <br /> Merci d'avoir dénoncé cela.<br /> <br /> Je prierai pour eux.<br /> <br /> <br />
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