Photo: Joaquim Dassonville pour la revue Mission
L’été, le saviez-vous, est aussi la saison des marronniers. Dès les premiers rayons de soleil, voilà que les régimes miracles s’empilent dans les kiosques, tandis que les dermatologues peaufinent leur discours sur le capital solaire. Et quelque part entre « les filières courtes qui décrochent les bons jobs » et les soldes, il n’est pas un journal local qui ne titre sur Vie et Lumière, la mission évangélique des Tsiganes.
Alors je profite de ce que mes estimés amis Pierre-Baptiste Cordier et Henrik Lindell aient porté à ma connaissance le texte de la Fédération protestante de France sur les Tsiganes pour vous parler plus particulièrement de la moitié d'entre eux: les Tsiganes évangéliques.
Un trait significatif de la méconnaissance profonde de beaucoup pour ces concitoyens-là tient en un mot : évangéliste. Une bonne part de la presse quotidienne régionale patine : le Midi Libre, que ce soit dans sont édition de Montpellier ou de Bagnols, La Provence, La Dépêche, Le Dauphiné Libéré, L’Union. Car ces gitans sont évangéli-ques, et non évangéli-stes. Et j'y apprends également, un poil étonnée tout de même, que le dimanche, ils vont à la messe et non au culte. Détails ? Pas tant que ça. Outre que personnellement ça me gonflerait assez de m’entendre appeler catholiste quand je suis catholique et que l'on appelle bonze mon curé, ma maman m’a toujours répété que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » - j’ai appris bien des années plus tard qu’elle avait plagié Boileau. Cela dit, on peut compliquer un peu les choses, juste pour sourire : certains sont en même temps évangéli-stes, c’est-à-dire qu’ils ont dans leur église un ministère bien précis d’annonce de la Bonne Nouvelle, ministère qui cohabite avec le ministère de pasteur, d’ancien, de diacre, etc. Ce qui fait d’eux des évangéli-stes évangéli-ques. Ou le contraire.
Or les évangéliques, c’est bien simple, on n’y comprend rien. A part le fait que ce sont des suppôts de Bush. Des convertis-par-les-missionnaires-américains, qui se roulent par terre la bave aux lèvres en hurlant « Jésus, Jésus ! », sisisi, je l'ai même vu à la télé. Quand en plus ils sont tsiganes (autant dire des voleurs de poules), alors c’est le pompon.
Sébastien Fath, dans ce qui est à mon sens son meilleur ouvrage, avait pourtant brillamment nuancé les choses. On apprenait par exemple, au fil des pages, que si vous croisez un réformé en Bretagne, c’est qu’il n’est probablement pas Breton de souche. Car les protestants historiques en Bretagne ne sont pas calvinistes, mais méthodistes, c’est-à-dire évangéliques, et ce depuis le début du XIXe siècle. Que les évangéliques américains ne le sont que grâce à une poignée d’Européens issus de la Réforme radicale. Et en tout cas que ces chrétiens-là sont bien chrétiens, avec une histoire de plusieurs siècles, qui n’a rien à envier à la nôtre ; ce sont même eux qui ont fondé les Etats-Unis bien avant qu’ils ne soient les Etats-Unis.
La Pennsylvanie ? Elle tire son nom de William Penn, le fondateur des Quakers, fondateur d’une colonie chrétienne utopiste depuis 1682. Le Massachussets ? Par les puritains, qui avant d’être une insulte étaient des Anglais du XVIe siècle. Rhode Island, capitale : Providence ? Par un théologien baptiste venu réaliser sur place l’idéal de paix et de fraternité qui l’habitait (notamment avec les Indiens) et fonder une colonie utopique, où la liberté religieuse était le principe absolu, y compris – et c’est suffisamment unique au XVIIe siècle pour être souligné - pour les Juifs et les musulmans.
Mais revenons à nos Tsiganes. Ah ! On me signale dans l’oreillette que ce terme-là n’est pas clair non plus. Tsiganes, c’est quoi ? Ben les gens du voyage. Oui, les Manouches, les Roms, les Gitans, les Bohémiens quoi. Peu importe, m’assure la voix dans mon oreillette : on voit en gros de qui il s’agit.
Bon. Je ne vous referai pas le coup de "catholiste", Boileau, ma mère, etc. Mais le problème est encore là. Je vous renverrai donc à l’excellent site d’A part entière pour une information détaillée.
Or ces Tsiganes évangéliques sont et font l’objet, chaque année, de bras de fer plus ou moins musclés de la part des autorités municipales où ils posent leurs caravanes. En général, le schéma est toujours le même : ils demandent à stationner sur le territoire d’une commune, dans l’une des aires d’accueil prévues par la loi, qui se révèle trop petite, insalubre ou inexistante ; ils se mettent alors ailleurs (sur un stade, dans une aire privée, etc), le maire prend un arrêté d’expulsion, les gens du voyage attaquent la légalité de l’arrêté auprès du tribunal administratif, et qu’ils perdent ou gagnent, cela leur laisse le temps de rester les quelques jours prévus. Parfois, cela se passe plutôt bien, comme ici ou là ; parfois les tensions sont palpables entre nomades et riverains, comme là ou encore là. Ce dernier article donne d’ailleurs toute la mesure de la situation ubuesque dans laquelle sont les gens du voyage : une commune ayant rempli son obligation légale de construire une aire d’accueil est furieuse que les Roms aient fait un campement sauvage. Or l’aire d’accueil est conçue pour… dix caravanes. Qu’étaient-ils censés faire, nos évangéliques ? Poser dix véhicules et demander aux 90 autres de rouler jusqu’à trouver une municipalité plus accueillante ?
Je vous l'avoue, la violence des commentaires postés sous les articles sus-cités m'effraie. Ce n'est même pas dans l'indifférence que ce déni de droit s'opère et se renouvelle chaque été. C'est avec le sentiment communément partagé que les choses sont bien ainsi.
La mission Vie et Lumière, pour mémoire, est une association tout ce qu’il y a de plus réglo, membre de la Fédération Protestante de France (FPF) depuis 1975, c’est-à-dire 20 ans avant la très respectable Armée du Salut. Et les gens du voyage – pour reprendre le terme administratif – sont des citoyens français. Qui malgré tout ne disposent pas des mêmes droits que tout le monde, et sont l’objet d’une suspicion généralisée, ainsi que le rappelle la FPF dans son très opportun communiqué de jeudi dernier, dont voici le texte intégral :
Gens du voyage : n'ajoutons pas une injustice de plus
Communiqué de la Fédération protestante de France — 22 juillet 2010. Un groupe de personnes, gens du voyage sédentarisés, a vandalisé le centre-ville de Saint-Aignan (Loir-et-Cher) en réaction au décès d’un jeune.
Un groupe de personnes, gens du voyage sédentarisés, a vandalisé le centre-ville de Saint-Aignan (Loir-et-Cher) en réaction au décès d’un jeune. Les images diffusées sont violentes et font leur effet. Toute une population est alors stigmatisée alors que ces épisodes de violence relèvent du droit commun.
Rappelons que la grande majorité des gens du voyage est française même si ceux-ci ne jouissent pas des droits de tous les Français (ils ne peuvent pas voter avant 19 ans, par exemple).
Une partie importante d’entre eux est protestante et travaille activement de diverses manières à aider la population tzigane à s’intégrer.
Avant de stigmatiser ces Français, réfléchissons aux dénis de citoyenneté qui leur sont infligés. Quand aujourd’hui on veut leur appliquer la loi dans toute sa rigueur concernant les aires de stationnement par exemple, il faut se souvenir que la loi (du 5 juillet 2000) impose aux municipalités de plus de 5000 habitants de mettre à disposition des aires d’accueil et aux normes pour les gens du voyage. Ce que la majorité d’entre-elles n’a jamais fait impunément. Qui doit montrer l’exemple ?
Au délit de faciès dont souffrent quotidiennement les Tziganes, Roms et autres Manouches, qui sont sans cesse contrôlés, méprisés, suspectés, n’ajoutons pas une injustice de plus en les mettant pour des raisons troubles au pilori de la nation. »
Comme dans toute population pauvre et largement marginalisée, les délinquances sont plus visibles qu’ailleurs. Faut-il se contenter de punir ou reprendre la question fondamentale de la justice sociale ?
Jean de La Fontaine, dans Les animaux malades de la peste, mettait déjà en garde contre la tentation de crier haro sur le baudet et de condamner cyniquement les plus faibles. La Fédération protestante de France ne peut pas laisser maltraiter une part de ses membres, et plus largement appelle les pouvoirs publics à ne pas agir sans discernement et à faire respecter les obligations des communes.